Interview
Rencontre avec Jean-Luc Izoard, directeur administratif et financier d'Artémis, holding de la société Ellisphere
Pouvez-vous nous parler de vous, de votre parcours, et de ce qui vous a amené à devenir directeur administratif et financier ?
J’ai une formation d’ingénieur agronome. J’ai travaillé quelques années comme développeur d’applications très spécifiques, au sein d’une structure liée à la SAFER. Puis, j’ai réalisé un long parcours bancaire dans diverses banques d’affaires en tant que gestionnaire de compte en entreprise.
J’ai ensuite intégré Natixis comme chargé d’affaires grand compte, avant de rejoindre en tant que DAF un groupe familial lyonnais dans lequel je suis resté une dizaine d’année ; j’y ai d’ailleurs créé la fonction de directeur financier. J’ai dans un second temps évolué au poste de directeur général adjoint de ce groupe que j’ai quitté en 2014 pour rejoindre Ellisphere avec des objectifs très clairs : participer au redressement de l’entreprise, et la sortir du giron de Natixis pour prendre un nouvel envol. Ce que nous avons fait !
C’est un parcours riche et varié qui m’a permis d’être confronté à des secteurs d’activité très divers, de découvrir énormément de choses en ouvrant mon esprit à de nombreuses typologies d’entreprises, et ainsi de développer une assez forte capacité d’adaptation.
Comment définiriez-vous les grandes missions qui sont les vôtres aujourd’hui au sein de la société Ellisphere ?
Je crois que les grandes missions que j’ai chez Ellisphere sont les grandes missions qu’un DAF doit avoir.
Premièrement, un DAF est là pour éclairer la route. Il doit accompagner la direction générale pour élaborer la stratégie de l’entreprise, avec en tout premier point, savoir éclairer les chiffres qui permettent de comprendre et de piloter. Il doit en effet comprendre l’environnement de l’entreprise, comprendre son business, comprendre ses clients, qui sont-ils, d’où viennent-ils, comment arrivent-ils chez nous, qu’est-ce qu’ils consomment… Et puis comment et pourquoi ils nous quittent, hélas, un jour ou l’autre. Enfin, un DAF est aussi là pour mesurer la performance et les résultats de l’entreprise, maîtriser les coûts – Deux grands sujets donc : le business et les coûts. Ce qui amène de facto à la l’élaboration du business plan aux côtés de la direction générale.
Deuxième grande mission d’un DAF, une fois la route éclairée, savoir tracer la voie du futur, que ce soit sous forme de croissance interne et/ou de croissance externe. Un directeur financier doit concevoir, mettre en œuvre et piloter une stratégie financière. Ce travail peut être très différent d’une entreprise à une autre. Ainsi, la gestion d’un groupe sous LBO comme Ellisphere dont le holding de contrôle est Artémis, est très différente de la gestion d’un groupe familial qui obéit à d’autres impératifs d’actionnariat. Dans tous les cas, le directeur financier est au cœur du relationnel avec tous les partenaires financiers que sont les banques, les investisseurs, et les associés.
La troisième grande mission d’un DAF est d’être à la tête de deux « petites usines » que sont les process order to cash et les process purchase to pay. On y parle comptabilité, facturation, clients, fournisseurs, on y parle de relances, de recouvrement, de gestion de trésorerie et de cash.
Enfin, quatrième grande mission d’un directeur financier : gérer les risques – à savoir, être capable de les identifier et de les piloter afin de sécuriser l’entreprise. On parle de risques clients et fournisseurs. On s’assure aussi de respecter les réglementations comptables, fiscales… On considère également les risques de cybercriminalité… Finalement, on parle de gouvernance au sens le plus large.
Quelles sont les compétences nécessaires pour déployer ces missions ?
La première compétence est, à mon sens, celle d’un bon animateur d’équipe… Etre à l’écoute, savoir s’entourer des bons experts.
Un directeur financier doit être leader, et savoir donner du sens à chaque fonction d’une direction financière, pour ainsi développer une cohésion durable au sein de l’équipe.
Un DAF doit être aussi un expert des métiers de la finance. Ça tombe sous le sens peut-être, mais le métier de DAF est très technique.
Il est aussi un stratège, comme nous l’avons vu précédemment, puisqu’il accompagne la direction générale dans l’élaboration de la stratégie, dans la vision de l’entreprise.
Enfin, un DAF doit avoir une forte capacité d’anticipation, et d’adaptation. Parce que le chemin n’est jamais tout à fait celui qu’on avait imaginé. Je crois qu’aujourd’hui, la capacité d’adaptation, c’est probablement l’une des clés majeures de la réussite des entreprises, et donc de la fonction d’un DAF.
Vous parlez d’anticipation. Mais concrètement, comment faire face à une crise comme celle que nous traversons actuellement, que personne ne pouvait voir venir ?
Dans le cas de la crise Covid-19, il était bien entendu impossible d’anticiper quoi que ce soit. La crise est arrivée, il a fallu faire avec… Avec toutes les difficultés que l’on connaît.
En revanche, on peut se préparer à être en capacité de faire face à de telle crise. Comme je le disais précédemment, un DAF doit être en mesure d’envisager des risques qu’il n’a jamais rencontrés.
Finalement, la meilleure anticipation d’une crise qu’on ne peut voir venir, c’est d’être en capacité d’imaginer à peu près n’importe quelle crise pour s’y préparer autant que faire se peut. Avec toujours la faculté de s’adapter au fil de l’eau, rester agile.
Comment cela se concrétise-t-il dans votre travail au quotidien ?
L’agilité, pour moi, dans un monde en constante évolution, particulièrement en période de crise, c’est la capacité à prévoir de plus en plus vite. A savoir modifier, légèrement, voire très significativement sa trajectoire, ses lignes stratégiques, en fonction du contexte et de son évolution.
Les crises peuvent être aussi des opportunités, ou plus simplement des accélérateurs. Ainsi, la crise actuelle nous a obligés chez Ellisphere à accélérer notre transformation digitale.
C’est un sujet très récurrent et déjà ancien dans toute la littérature qui concerne les directions financières. La transformation digitale est déjà engagée chez beaucoup. Toutefois, la crise a accéléré cette transformation pour une raison simple, c’est que tout le monde s’est trouvé un peu, voire totalement coupé physiquement les uns des autres.
Nous avons ainsi énormément accéléré cette transformation. Par exemple dans notre process order to cash, de la gestion de la prise de commande du client jusqu’à l’encaissement de ses factures. Nos process de relances recouvrement sont, eux aussi, en grande partie dématérialisés.
Aujourd’hui, tous nos contrats clients sont numérisés. Ils peuvent être signés électroniquement, alors qu’avant, un contrat était sous format papier qu’il fallait apporter aux clients pour qu’il y appose sa signature.
Par ailleurs, tout le process d’achat et de règlement des fournisseurs est entièrement dématérialisé. Dorénavant, une facture fournisseur qui arrive chez nous, est numérisée. Nos règlements sont 100% dématérialisés, même si c’était déjà en grande partie le cas avant la crise.
La dématérialisation a été un axe essentiel dans la gestion de cette crise. Le fait que notre entreprise ait été déjà très fortement digitalisée avant la Covid-19 nous a bien évidemment grandement favorisés. Toutefois, la crise a été indéniablement l’occasion d’améliorer nos process, et d’accélérer le processus de digitalisation engagé.
Quels sont les principaux bénéfices que vous retenez de cette digitalisation ?
En premier lieu, nous avons sécurisé nos process. Consécutivement, nous avons moins de risque d’erreur, moins de risque de fraude, moins de risque de perte. A ce titre, intensifier notre digitalisation a été un véritable bouclier pour notre entreprise en temps de crise.
Nous avons continué à payer nos fournisseurs au plus fort de la crise, absolument normalement. Nous avons réduit nos coûts, ne serait-ce que par la réduction draconienne des impressions papier, et des envois postaux des courriers clients et fournisseurs.
Bien évidemment, tout cela nécessite une adaptation et un accompagnement des équipes : de nouvelles organisations de travail, de nouveaux outils, de nouveaux process. De fait, un plan de formation des collaborateurs s’avère très souvent nécessaire dans le cadre de la conduite du changement.
Comme je l’évoquais précédemment, cela fait déjà des années que l’on travaille sur ces sujets chez Ellisphere. Toutefois, la crise a agi un peu comme un stress test qui nous a poussés à aller plus vite dans la dématérialisation de nos process, particulièrement à la direction financière.
Pour conclure peut-être, je pense que le moment était propice pour ce changement, d’autant que les impératifs réglementaires évoluent. Ainsi, dans trois ans, toutes les entreprises seront tenues d’émettre des factures électroniques. Une chose est donc certaine, la direction financière d’Ellisphere sera fin prête pour cette nouvelle échéance !