Devoir de vigilance : deux entreprises mises en demeure
La société civile s’organise en se réunissant au sein de collectifs. Plusieurs associations, syndicats, collectivités locales et ONG se dressent déjà contre les multinationales pour leur rappeler leurs obligations en matière de RSE. Rien qu’en 2019, trois lettres de mise en demeure ont été adressées à des multinationales pour leur rappeler les manquements à leurs obligations.
L’injonction est toujours la même : adapter leur plan de vigilance afin de se mettre en conformité avec la loi. Concrètement, ils souhaitent que les entreprises identifient et décrivent précisément les risques d’atteintes graves envers les droits humains, libertés fondamentales, la santé, sécurité des personnes et l’environnement.
Ils demandent également à ce que des mesures adaptées soient prises pour prévenir ou atténuer ces risques et que des indicateurs soient mis en place pour mesurer l’efficacité des dispositions prises et l’évolution des risques associés.
Le groupe Total
Les griefs opposés au groupe Total :
— Lettre de mise en demeure pour manquement à son devoir de vigilance en matière climatique. Il est demandé à la multinationale de réduire ses émissions de gaz à effet de serre pour s’aligner sur les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat.
— Six jours plus tard, deux ONG et quatre associations ougandaises ont adressé une autre mise en demeure au groupe pétrolier pour manquement à son devoir de vigilance en matière de protection des droits humains et de l’environnement pour ce qui concerne les activités de sa filiale et de ses sous-traitants en Ouganda.
Le leader mondial des centres d’appel Téléperformance :
Il a été destinataire de la lettre de mise en demeure émise par une ONG et une fédération syndicale internationale pour manquement à son devoir de vigilance. Elles reprochent à la multinationale d’avoir insuffisamment pris en compte dans son plan de vigilance, les risques d’atteintes graves aux droits des travailleurs dans plusieurs de ses filiales à l’étranger.
Alertes préalables
L’association Sherpa, qui fait partie des collectifs à l’origine de la mise en demeure des deux groupes, n’en est pas à son premier coup de semonce. En effet, la première interpellation de Total sur ces manquements date d’octobre 2018.
L’alerte concernant le fait que le changement climatique ne figurait pas dans le premier plan de vigilance du groupe a été levée dans un premier temps. Le groupe Total en a alors élaboré un second. Cependant, l’association a fait le constat que l’ensemble des risques n’y figuraient pas ni les mesures adaptées pour les prévenir et les atténuer.
Aujourd’hui, les plans de vigilance publiés par de nombreuses entreprises ne sont pas en conformité avec les exigences légales. De nombreuses entreprises figurant sur la liste établie par Sherpa et CCFD-Solidaire n’ont pas encore publié de plan de vigilance, elles sont donc déjà hors la loi.
Néanmoins, une question demeure : quelles suites le gouvernement va-t-il donner pour les entreprises qui n’ont pas publié de plan ?
La porte est fermée ? Passons par la fenêtre : le cas des pratiques commerciales douteuses
Dans un communiqué daté du 3 juillet dernier, les associations Sherpa et ActionAid France annoncent avoir obtenu la mise en examen de Samsung Electronics France et de sa maison-mère en Corée contre lesquelles elles ont porté plainte pour pratiques commerciales trompeuses.
« L’entreprise affiche des engagements éthiques sur les droits des travailleurs qu’elle ne respecterait pas dans ses usines en Chine, en Corée et au Vietnam », précise le communiqué. C’est la première fois en France qu’un juge d’instruction (Renaud van Ruymbeke, qui a pris sa retraite depuis) met en examen une entreprise — en l’espèce, non assujettie au devoir de vigilance — en estimant que le non-respect des engagements qu’elle affiche en matière de RSE peut être constitutif de pratiques commerciales trompeuses.
Les états ne sont pas épargnés : une action en justice contre l’état français
En France, la pétition l’Affaire du siècle, lancée fin 2018 dans le but d’introduire un recours en responsabilité contre l’État français pour « inaction climatique ». Ce projet, lancé par quatre ONG (la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme, Greenpeace France, Notre affaire à tous et Oxfam France), a rencontré beaucoup de succès (plus de deux millions de signatures en quelques semaines).
Le but de cette pétition ? Demander réparation vis-à-vis des préjudices causés par cette inaction. Cette demande a été rejetée par le gouvernement le 15 février dernier. Un mois plus tard, les quatre ONG ont déposé un recours de plein contentieux devant le tribunal administratif de Paris.
Les requérants demandent au juge administratif de reconnaître le préjudice écologique — qui n’est jusqu’ici reconnu que dans le Code civil — « lié à l’inaction climatique de l’État ». Concrètement, ils demandent à la justice d’enjoindre à l’État « d’adopter toutes les mesures nécessaires pour y mettre un terme et prévenir l’aggravation du dommage ».
La finance n’est pas à la marge : la protection des investisseurs
Le 24 octobre 2019, l’autorité de régulation de l’industrie financière américaine (FINRA*), a condamné BNP Paribas Securities Corp. et BNP Paribas Prime Brokerage, Inc. à une amende de 15 millions USD. Les raisons ? La lutte contre le blanchiment d’argent et des défaillances en matière de supervision impliquant des dépôts et des reventes d’actions de petite valeur unitaire (« Penny Stock »).
Les griefs de la FINRA concernent, entre autres, l’absence de programme de surveillance des transactions financières afin de détecter les transactions suspectes
Des ressources insuffisantes en termes de personnel
L’autorité a rappelé que « quand les clients s’engagent dans des transactions à haut risque impliquant des titres à petit prix et des devises étrangères, l’entreprise doit consacrer suffisamment de ressources à son programme de lutte contre le blanchiment d’argent, y compris la surveillance des transactions et des virements électroniques ». Elle a donné trois mois trois mois à BNP Paribas pour se remettre à niveau.
L’ACPR a également rappelé à l’ordre les banques françaises concernant leurs filiales étrangères et les contrôles insuffisants mis en place dans la lutte contre le blanchiment d’argent. Ce rappel à l’ordre n’est certainement pas déconnecté du débat autour de la création d’une autorité européenne de lutte contre le blanchiment d’argent sale, une autorité centrale à l’image de la Banque Centrale Européenne (BCE).
Que peut-on en conclure ?
Avec le peu de succès de détection des sommes astronomiques provenant d’activités illégales, du non-respect des réglementations concernant de la protection de l’environnement, du travail des enfants et des travailleurs en général, de l’esclavage moderne de populations démunies, la détection et la dénonciation de non-conformité devraient être l’action de tous (Institutions Financières, Société Civile et grands groupes), et non seulement celui des superviseurs et régulateurs.
La conformité se doit d’être instaurée « By Design » et « By Default », à l’image du RGPD, dans toutes nos actions et à tous les niveaux. Pour commencer, surveiller la « Supply Chain » de nos aliments, nos habits… Si le prix est trop bas et alléchant, c’est qu’il existe en fin de chaîne quelqu’un qui est en train de payer la facture pour nous.
*Aux États-Unis, la Financial Industry Regulatory Authority, Inc. (FINRA) est une société privée agissant en tant qu’organisme d’autoréglementation (SRO : Self-Regulatory Organization). La FINRA succède à la National Association of Securities Dealers (NASD). C’est une organisation non gouvernementale qui réglemente les sociétés de courtage membres et les marchés des changes. La Securities and Exchange Commission est l’organisme gouvernemental qui joue le rôle de régulateur ultime du secteur des valeurs mobilières, y compris la FINRA.
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