Quel contexte ?
Le transport maritime pèse lourd dans le PIB mondial avec un volume d’affaires estimé à 700 milliards d’euros sur le précédent exercice.
On se souvient tous en mars 2021 de l’échouage du porte-conteneurs de la compagnie « Evergreen » qui avait bloqué le canal de Suez, occasionnant alors une forte perturbation du trafic maritime mondial… Et ce, en pleine pandémie Covid-19. Plusieurs centaines de navires des grands armateurs MSC, MAERSK ou encore CMA-CGM étaient alors immobilisés et s’étaient ensuite massivement détournés de Suez.
Certains avaient pris la décision de rebrousser chemin et espéraient rejoindre l’Europe, en contournant l’Afrique via le cap de Bonne-Espérance… Alors que ce détour représente près 6 500 kilomètres parcourus entre cinq à neuf jours de mer, soit un temps et des coûts en sus considérables.
Les conséquences de l’échouage du porte-conteneurs ont été multiples : un retard dans la chaîne logistique, une explosion des prix des conteneurs (le prix de ces derniers, dont les dimensions sont normalisées sur le plan international, repose sur un profil de caissons de 40 pieds, soit environ 12 mètres.
Avant pandémie, le coût moyen de location à l’échelle mondiale était d’environ 2 240 dollars, contre globalement 10 000 dollars aujourd’hui ! Les délais de livraison ont également été impactés, passant ainsi de 5 semaines entre la Chine et l’Europe en 2019, à 2 mois et demi durant la pandémie… Avec un temps de décharge et de recharge étendu à plus de 40 jours contre 7 à 10 jours auparavant.
Plus généralement, la raréfaction des conteneurs a bien entendu participé à l’explosion des prix des marchandises transportées.
Ces avaries sont plus fréquentes qu’on ne le pense. Ainsi, un nouveau porte-conteneurs s’est échoué le 13 mars dernier au large du port de Baltimore [USA]. Les premières tentatives de remise à flot ayant échoué, les équipes sont encore à l’œuvre pour alléger la charge du navire et tenter une remise à flot.
La pratique de blank sailing
Le blank sailing est en fait une annulation d’escale, décidée par une compagnie maritime. La pratique est tout à fait légale en cas d’avarie ou de retard à rattraper, mais l’interrogation actuelle réside dans le recours de plus en plus fréquent à cette pratique. L’optimisation des escales demeure en effet une préoccupation majeure, tant pour les manutentionnaires que pour les armateurs.
Du côté des opérateurs de terminaux, la bonne gestion de ces étapes dépend aussi de la régularité des arrivées des navires. Dès lors qu’un bateau annule une escale ou arrive en retard, l’impact est immédiat sur le planning opérationnel et toutes les opérations en cours se trouvent alors décalées. Et comme évoqué, si une avarie survient, c’est alors un blocage total… Gérer cette problématique et l’éventuelle désorganisation du trafic qui en découlerait s’avère très délicat… Mais qu’en est-il exactement de cette pratique de blank sailing ?
L’Association des Utilisateurs de Transport de Fret [AUTF] soupçonne en effet les armateurs d’avoir sciemment organisé la désorganisation du marché, et donc d’entretenir cette raréfaction des conteneurs qui contribue à l’explosion des tarifs.
Le surbooking est également pointé du doigt avec parfois des taux de remplissage des navires avoisinant les 110 %, ce qui permet de refuser le chargement de marchandises jugées moins rentables que certaines autres.
Les chargeurs rencontrent alors souvent des difficultés à expédier leurs marchandises et au bout de la chaîne, les entreprises ne reçoivent plus leurs marchandises d’où des reports de livraison, des coûts supplémentaires, des pertes potentielles de marchés, etc.
Les pavillons de complaisance
Un bateau sous pavillon de complaisance est un navire qui hisse les couleurs d’un pays, autre que celui du propriétaire réel. À l’image du blank sailing évoqué précédemment, le recours à cette pratique repose essentiellement sur des questions de rentabilité et donc d’optimisation de coûts.
En effet, l’un des dénominateurs communs à tous ces navires est la mise en place de salaires très bas, et peu ou pas de protection sociale pour le personnel navigant.
De plus, ces pavillons permettent généralement à ces navires d’éviter un contrôle, entre autres par l’ITF, Fédération Internationale des ouvriers du Transport. Celle-ci négocie des accords avec des organisations internationales afin de garantir principalement le droit des salariés.
Ainsi, il n’est pas rare de constater que certains marins naviguent parfois sans avoir perçu le moindre salaire pendant plusieurs mois… Les Philippins, Chinois, Indiens, mais également Russes et Ukrainiens composent en grande partie les effectifs de la marine marchande internationale. Le conflit russo-ukrainien actuel a provoqué le retour au pays de nombreux marins de ces deux pays, avec à la clef le risque de générer une pénurie de main d’œuvre expérimentée.
Citons enfin, parmi les pavillons de complaisance, quelques pays fréquemment évoqués sur un plan international : les Bahamas, la Barbade, les Bermudes, Malte, la Jamaïque, le Liban… Soit une quarantaine [à minima] de pavillons référencés.
La pollution : dégazages et chutes de conteneurs
Lorsqu’on parle de marine marchande, difficile de ne pas évoquer la pollution. En premier lieu, les dégazages sauvages, délicats à repérer, y compris par satellites.
Là encore pourquoi ces dégazages ? C’est encore, et toujours, une histoire de coûts… Selon la législation en vigueur, le nettoyage des cuves d’un navire doit être réalisé dans un port, avec une société spécialisée et certifiée. Cette procédure spécifique respecte des normes environnementales très strictes, ce qui représente par conséquent un surcoût auquel les armateurs tentent de se soustraire.
Dans sa lutte contre les méfaits en mer, la France dispose du système de surveillance Spationav. Ce dernier fourni à la Marine nationale et aux principales autorités, un système de surveillance en temps réel des approches maritimes des côtes métropolitaines et antillaises, ainsi que de la Guyane. Cet outil permet de participer activement à la lutte contre les trafics illicites, l’immigration clandestine, le terrorisme, mais également le dégazage sauvage.
À cela s’ajoutent les moyens de surveillance de l’Agence Européenne pour la Sécurité Maritime [AESM], située à Lisbonne.
Si le navire en cause est français, les auditions sont alors réalisées par la gendarmerie maritime. S’agissant de bateaux dans des ports étrangers, la juridiction spécialisée de Marseille, sous l’autorité du procureur, est alors en capacité de requérir une entraide internationale.
Et que dire des chutes de conteneurs en pleine mer ?
Chaque année, des milliers de conteneurs se retrouvent ainsi au fond des océans ou parfois ramenés par les flots sur les plages du monde entier. Ces accidents, très fréquents, s’avèrent extrêmement polluants. Outre la perte financière due à la perte de caissons, les assureurs craignent toujours la survenance de sinistres environnementaux majeurs, aux conséquences financières parfois colossales.
Avec une taille moyenne en constante augmentation, les porte-conteneurs de dernière génération représentent d’énormes stocks flottants de marchandises assurées ; sachant que la valeur moyenne d’un seul conteneur chargé est à minima de 45 000 dollars.
De nouvelles exigences
Exigences climatiques, environnementales, géopolitiques, nouvelles technologies, gestion des flux… Les armateurs doivent gérer au cordeau leurs activités afin d’impacter le moins possible leurs comptes d’exploitation.
Les géants du secteur qui réalisent d’énormes profits se sont également lancés, au titre de la diversification [aérienne, terrestre], dans une politique d’acquisitions, afin de maîtriser l’entièreté de la chaîne d’approvisionnement. Dernier exemple en date en décembre 2021 : le transporteur danois A.P. MOLLER-MAERSK a annoncé le rachat, pour 3,6 milliards de dollars, du spécialiste chinois de la logistique LF LOGISTICS [223 entrepôts et une flotte de camions en Asie] ; MOLLER-MAERSK traite déjà un conteneur sur cinq dans le monde. Pour sa part, le français CMA-CGM qui possède déjà 500 navires, a commandé une vingtaine de nouveaux bâtiments aux chantiers chinois et coréens notamment.
Si la flambée actuelle des tarifications persiste, le niveau des prix pratiqués en lien avec les importations mondiales de marchandises, pourrait augmenter de 11 % d’ici à 2023. L’accident du canal de Suez a donné un coup de projecteur sur le monde des armateurs, mais également sur la grande précarité des flux maritimes qui peuvent être bloqués par la moindre avarie.
Au titre du contournement de Suez déjà évoqué et ses 6 500 kilomètres supplémentaires, la piste de la route maritime du Nord [RMN] permettant de relier l’océan Atlantique à l’océan Pacifique en longeant la côte nord de la Russie avait été évoquée. Toutefois, compte tenu du contexte géopolitique actuel, cette option apparaît pour l’heure difficilement envisageable.
Un dernier point et non des moindres : Shanghai, capitale économique de la Chine, est mise sous cloche depuis fin mars par les autorités chinoises afin de lutter, une nouvelle fois, contre le Covid-19. Cette situation génère actuellement une importante congestion dans les terminaux portuaires. Consécutivement, les armateurs se détournent en masse de Shanghai avec pour effet de déséquilibrer les capacités d’accueil du premier port mondial à conteneurs, celui de Ningbo-Zhoushan, où déjà près de 140 navires sont en attente. Cette nouvelle difficulté devrait participer à aggraver les tensions logistiques constatées actuellement dans le monde.