Comme nous avons pu le voir lors de notre dernier article, le métier de credit manager connaît aujourd’hui une profonde mutation, dans un environnement marqué par de multiples ruptures et une « culture du cash » omniprésente au sein des organisations. Avec une logique « multirisques » qui doit s’intégrer dans divers processus métiers de l’entreprise, le credit manager occupe désormais un rôle stratégique et transversal dans l’entreprise.

Quelles sont les conséquences d’une telle évolution ? Dans quelle mesure va-t-on aujourd’hui vers une nécessaire digitalisation du métier de credit manager ? Mais si l’utilisation des technologies s’avère désormais indispensable pour une maîtrise efficace des risques, le rôle de l’humain reste fondamental pour garantir une décision de crédit fiable et éclairée.

Une intégration des risques de plus en plus poussée dans les processus métiers

Ces dernières années ont été marquées par de multiples crises : qu’il s’agisse du Covid, des pénuries de matières premières, d’un contexte géopolitique instable et de conditions économiques dégradées (remontée des taux d’intérêt, inflation…). Ces crises conjoncturelles se sont superposées à des ruptures plus structurelles :

  • Rupture technologique avec l’émergence de l’Intelligence Artificielle ou le Big Data, qui viennent révolutionner la gestion du poste client. Les credit managers doivent tirer parti de ces innovations leur permettant de traiter rapidement une quantité plus importante de données, tout en fournissant un niveau d’analyse plus fin et plus performant.
  • Rupture organisationnelle, avec une culture « data-driven » (orientée « données ») qui place les données au cœur des processus de décision des entreprises.

Ces multiples ruptures sont autant d’opportunités pour les credit managers de transformer leur métier en profondeur et d’étendre leur mission au sein des organisations. Ainsi, au-delà des risques de paiement, il leur faut considérer les risques de fraude, la réputation de l’entreprise, l’analyse extra-financière, etc. Ils doivent désormais adopter une approche « multi-risques », qui vient s’intégrer dans les différents processus métiers de l’entreprise.

C’est ainsi que les credit managers endossent aujourd’hui un rôle plus transversal, « créateur de liens » entre les équipes commerciales, les directions financière et juridique, garants du partage de la culture du risque client dans l’organisation.

Pour assumer ces nouvelles missions, dans un contexte de déluge des données et d’impératifs de temps à respecter, l’automatisation s’impose comme une nécessité.

Une digitalisation accélérée du métier de credit manager

Comme beaucoup de métiers, l’ère du tableur Excel est progressivement remplacée par des outils dédiés à l’activité des credit managers, plus performants, souvent accessibles en mode SaaS ou via des API (Application Programing Interfaces), qui ne sont donc plus l’apanage des grands groupes.

La plupart des missions des credit managers sont concernées, qu’il s’agisse du recouvrement de créances, des processus de gestion de risques, de la gestion du poste client et de tous les processus répétitifs, chronophages et fastidieux. A moyen terme, les directions financières vont poursuivre leurs investissements dans la dématérialisation, le cloud, la Data Visualisation, la robotisation et l’Intelligence Artificielle, prévoit une étude du cabinet de conseil PWC[1]. Et, face à un contexte d’incertitude, les DAF français privilégient la digitalisation de la fonction finance à un horizon de trois ans.

Ainsi, 71% des credit managers considèrent que les compétences technologiques (digitalisation, Big Data, Intelligence Artificielle) vont se développer dans leur métier, loin devant les compétences juridiques et financières.

Une automatisation des processus et de la prise de décision

Les credit managers sont confrontés à leur plus grand ennemi : le temps. Leur fiche de poste s’étoffe, ils doivent avoir une approche multi-risques, et dans ce cadre être au fait de la réglementation, garantir la qualité de la donnée, et plus généralement assumer leur rôle transversal dans l’organisation, au-delà des risques de paiement. Il leur faut considérer les risques de fraude, de réputation de l’entreprise, et s’appuyer sur l’analyse de multiples signaux faibles qui, contextualisés, peuvent apporter une réponse quant au risque de crédit. Et ce, pour chacune des entreprises à analyser, sous peine de subir une fraude, une perte financière sèche due à un impayé, ou encore un impact non négligeable sur la réputation de l’entreprise.

Face à cette complexité, il leur est impossible de traiter la multitude de dossiers de crédit qu’ils reçoivent manuellement. Seuls les dossiers les plus à risque et à plus fort enjeu sont amenés à être traités manuellement.

C’est pourquoi, la prise de décision doit être automatisée, tout en conservant sa traçabilité dans les processus métiers.

Le rôle déterminant des data scientists

Face à ce besoin d’automatiser la démarche d’évaluation, le rôle des data scientists est essentiel. Selon l’APEC, un data scientist « développe des algorithmes d’apprentissage automatique selon les besoins des équipes métiers. Ses compétences en statistiques lui permettent de construire des modèles de machine learning et ses connaissances en informatique l’aident à anticiper leur mise en production. En amont de ces deux missions, il est également en charge de structurer et d’analyser les données qu’il utilise. »[2]

L’IA peut ainsi aider à la gestion du risque client grâce à l’analyse des caractéristiques d’une entreprise, la collecte des chiffres clés et de données sectorielles ou aux comportements de paiement. Là où les data scientists allaient chercher historiquement les données numériques et structurées, ils sont aujourd’hui capables d’aller chercher les données dans des flux non numériques (des documents PDF, des images, des vidéos, etc.), avant de les vérifier, de les enrichir, et de les contextualiser pour faciliter la prise de décision.

Mais une automatisation « totale » n’est pas optimale

Si les technologies constituent indéniablement un progrès concret pour la détection, l’analyse et la maîtrise des risques clients, et continueront de se développer au rythme de l’Intelligence Artificielle, une automatisation intégrale n’est pas une perspective souhaitable.

Accorder une confiance aveugle dans les données en automatisant tout ce qui peut l’être, présente deux inconvénients essentiels : d’une part, la problématique de qualité des données reste majeure dans les organisations. D’autre part, il existe un certain nombre de biais dans l’interprétation des données qui peuvent conduire à des prises de décisions non optimales.

Selon l’étude “Data Quality : The State of the Art” réalisée par Gartner en 2023, 70 % des entreprises considèrent la qualité des données comme un défi majeur, et que 80 % des données d’entreprise pourraient être inexactes ou obsolètes.[3] On retrouve cette préoccupation pour les organisations qui recourent à l’Intelligence Artificielle : la qualité des données est, pour 42 % des responsables de données qui l’implémentent ou prévoient de l’utiliser, le principal obstacle à l’adoption, selon une étude Wakefield Research/Informatica[4].

La non-qualité des données est donc un phénomène largement répandu, même pour des informations dont la qualité est a priori considérée bonne : on estime ainsi que 10 à 15 % des données légales sur les entreprises sont sujettes à des anomalies ou des erreurs.[5]

Avec un rôle de plus en plus central au sein de l’entreprise et de nouvelles exigences qui s’imposent (approche « multi-risques », obligations réglementaires, foisonnement des informations mais aussi raréfaction de la donnée financière), le credit manager doit s’appuyer sur les nouvelles technologies dans une logique d’automatisation. Toutefois, si ces dernières participent à une analyse et une maîtrise plus performante des risques clients, la place de l’humain reste essentielle pour s’appuyer sur des données fiabilisées, sous peine de fausser l’évaluation.

 

 

[1] Priorités 2024 des directions financières, relever les défis, PWC, DFCG.
[2] https://www.apec.fr/tous-nos-metiers/informatique/data-scientist.html
[3] « Qualité des données : un pilier majeur de la Data Gouvernance » . www.taleofdata.com/post/qualite-des-donnees-pilier-de-la-data-gouvernance
[4] CDO insights 2024 : tracer la voie vers l’IA, Wakefield Research, Informatica. On retrouve une proportion similaire dans l’étude AWS « Agenda CDO 2024 ». https://d1.awsstatic.com/psc-digital/2024/gc-600/cdo-biz-value/CDO-Agenda-2024-fr-fr.pdf
[5] « L’importance d’une donnée de qualité dans la prise de décision de crédit », Ellisphere, octobre 2022. https://www.ellisphere.com/qualite-donnee-credit-management/