Interview

Entretien avec Valérie Attia, présidente d’Ellisphere

Attia Valérie

La crise Covid va bientôt rentrer dans sa 3ème année, comment Ellisphere a-t-elle réagi dans ce contexte très particulier ?

Plusieurs éléments de réponse sont nécessaires. Le premier a été de permettre aux équipes de continuer de travailler dans des conditions optimales. Le télétravail a donc été immédiatement renforcé et généralisé dès mars 2020. Parallèlement à cela, il a été également nécessaire de donner de nouveaux repères aux collaborateurs dans un contexte de travail très nouveau pour eux.

Le second point qui nous a semblé extrêmement important a été de réfléchir à des solutions directement utiles à nos clients dans une période tout à fait particulière. Les enjeux n’étaient pas forcément les mêmes pour tous nos interlocuteurs clients, dans la mesure où, brusquement, des pans entiers d’activité ont été mis à l’arrêt, total ou partiel, et d’autres non. Dans ce contexte, il nous est très vite apparu évident qu’il était nécessaire de travailler à de nouveaux indicateurs, ainsi qu’à la collecte de nouveaux types d’informations tenant compte de données financières spécifiquement liées à la crise, comme l’obtention de Prêt Garanti par l’Etat, mais aussi de nouvelles informations de type extra-financier.

Enfin, le troisième élément de réponse à votre question se place à la sortie du 1er confinement. Dès l’été 2020, nous avons été très fortement sollicités par nos clients qui s’interrogeaient sur de nouvelles façons de prospecter, à un moment où toute l’organisation de la prospection commerciale avait été chamboulée dans les entreprises.

Nous avons donc regardé sur le marché quelle solution innovante répondait au mieux à ces nouveaux enjeux marketing et commerciaux. Celle proposée par Sparklane, acteur de l’édition logicielle B2B, a retenu toute notre attention. Notre réflexion a abouti en avril 2021 à l’acquisition de la société Infotrade, qui édite les solutions Sparklane. Avec cette opération de croissance externe, nous avons consolidé notre position sur le marché des solutions marketing, l’un de nos trois métiers stratégiques. Cette opération nous ouvre ainsi de belles opportunités de croissance et d’innovations sur un marché en pleine mutation.

Face aux difficultés rencontrées par les entreprises durant ces deux dernières années, quels seront demain les enjeux de la gestion des risques en BtoB ?

Tout d’abord, je suis convaincue, que l’on ne peut plus correctement prospecter sans se préoccuper de la solvabilité de son futur partenaire commercial. Par ailleurs, on ne peut désormais plus parler de gestion préventive des risques client ou fournisseur, sans y intégrer de nouveaux questionnements : quelles sont les valeurs, l’éthique du partenaire ? Quelle est son engagement en matière de responsabilité sociétale des entreprises (nldr RSE) ? Etc.

Ces questionnements valent tant dans le cadre de l’entrée en relation, que dans celui de la gestion de portefeuilles clients et fournisseurs existants. Ils se retrouvent aussi posés par les partenaires de l’entreprise elle-même, actionnaires, investisseurs, jusqu’aux candidats dans le cadre de campagnes de recrutement ; les collaborateurs des entreprises étant de plus en plus attentifs, et exigeants sur tous les sujets touchant la RSE.

Pour leur gestion préventive des risques client et fournisseur, les entreprises en BtoB ont donc besoin de data plus variée, pas forcément plus volumineuse, mais certainement plus qualitative. Des données qui servent aussi à alimenter de nouvelles solutions offrant une visibilité au-delà du court terme sur les partenaires commerciaux.

De nouveaux outils comme par exemple un score de probabilité de défaillance des entreprises qui couvrirait des périodes plus longues ?

Absolument. Dans le cadre de la gestion de ses fournisseurs par exemple. Un fournisseur stratégique doit pouvoir être évalué sur le long terme, à deux, trois ou cinq ans. Au risque de faire face à une rupture d’approvisionnement qui viendrait hypothéquer la pérennité même de l’entreprise.

Autre exemple dans la gestion de son parc client, particulièrement avec l’activité de leasing où les prestataires ne peuvent pas se contenter d’une évaluation de la solvabilité à six mois de leur client. Parce que la solution de leasing, et notamment des équipements mis en place, est là pour durer plusieurs années.

Donc oui, il est absolument nécessaire de développer de nouveaux outils permettant à nos clients de travailler sur le long terme, et en toute confiance avec leurs partenaires commerciaux afin d’assurer un développement durable de leur activité. Des outils standard, mais également des outils modulables, sur-mesure, pour répondre à la spécificité de certains enjeux. Cette adaptabilité des outils est particulièrement vraie en matière de scoring comme évoqué précédemment.

La crise a entrainé de profondes mutations. A ce titre, les entreprises, particulièrement les directions financières, ne sont-elles pas revenues à certains fondamentaux ?

Effectivement, face aux incertitudes conjoncturelles et sanitaires, les directions financières ont dû se recentrer sur des fondamentaux : faire entrer le cash plus vite, constituer de la trésorerie, mais aussi payer les fournisseurs en temps et en heure, pour préserver les chaînes d’approvisionnement.

Il est vrai que les entreprises françaises ont bénéficié d’un dispositif d’aides mis en place par l’Etat français tout à fait exceptionnel. Je pense plus particulièrement aux Prêts Garantis par l’Etat qui ont permis à des entreprises de traverser cette période difficile, et de préparer peut-être plus sereinement la sortie de crise.

Autre évolution notable, l’accélération de la digitalisation des processus financiers, mais également des méthodes de prospection. La crise a probablement poussé de nombreuses entreprises qui n’étaient pas encore tout à fait dans l’ère de la digitalisation, à accélérer les choses. Elles ont finalement réalisé en six mois, ce qu’elles auraient exécuté en cinq ou dix ans dans une conjoncture « normale ».

Ces dernières années, beaucoup d’évolutions réglementaires visent les acteurs économiques particulièrement en matière de RSE, en écho d’ailleurs aux nouvelles attentes sociétales des citoyens. Pensez-vous que ces évolutions représentent une tendance lourde qui va s’amplifier ?

De nouvelles réglementations poussées effectivement par les consommateurs, poussés par le marché et les jeunes générations qui recherchent des emplois dans des entreprises plus responsables.

Donc, bien sûr, c’est une tendance de fond. Tendance qui s’accélère avec de nouvelles réglementations en vue, comme celles sur la taxonomie ou l’obligation de reporting, qui toucheront davantage d’entreprises de taille plus réduite, bien au-delà de la seule population des très grandes entreprises aujourd’hui concernées par de nombreuses réglementations.

Enfin, qui dit nouvelles réglementations, dit nouvelles normes…

Dernière question, êtes-vous confiante quant à la dynamique entrepreneuriale française ?  Il y a de nombreuses aides apportées aux entreprises, mais nous pouvons également constater la forte capacité d’adaptation des entrepreneurs cherchant de nouvelles pistes de développement.

Plutôt confiante, oui. En premier lieu, je trouve que les entrepreneurs sont plutôt inventifs. Regardez la French Tech… Nous en sommes à la 24ème Licorne déclarée en janvier 2022. Bien évidemment, cette créativité, cette capacité à innover, à créer de la valeur, va bien au-delà des seules licornes ! Beaucoup d’entreprises ont cette force.

L’autre sujet d’optimisme est la réindustrialisation de la France qui est peut-être enfin engagée, du moins dans certains secteurs d’activité. Une réindustrialisation portée d’un côté par des entrepreneurs, souvent jeunes, qui veulent activement participer à la redynamisation des territoires. Une réindustrialisation portée par ailleurs, consécutivement à la crise sanitaire actuelle, par la nécessité de revoir certaines chaînes d’approvisionnement en les sécurisant avec des partenaires géographiquement plus proches. Ceci embarque bien évidemment la question de notre souveraineté économique. Ceci vise également d’autres questions particulièrement cruciales comme de travailler avec des pays peu respectueux des droits humains.

Dans le contexte national et international actuel, je pense que les entreprises françaises sont bien placées pour remporter des parts de marché significatives, et que les entrepreneurs hexagonaux n’ont pas dit leurs derniers mots. D’autant que nous sommes dans un pays, où entreprendre devient plus facile, et où l’argent pour investir ne manque pas.

En tout état de cause, le développement économique et l’aventure entrepreneuriale doivent ambitionner un monde plus durable, plus solidaire, favorisant le bien-être social, ainsi que la protection de tous les écosystèmes. La feuille de route de la France pour l’Agenda 2030 va au demeurant dans ce sens.

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