Le risque pays est un critère souvent intégré dans les évaluations ou due diligences comme celles requises par l’article 17 de la loi Sapin II. Issus d’une longue tradition, coup de projecteur sur les éléments à connaître sur ce type d’indicateur, et comment les intégrer au mieux à vos évaluations
Une notion polymorphe
« Dans un contexte de mondialisation des échanges et des mouvements des capitaux, les entreprises multinationales augmentent leurs risques inhérents aux pays dans lesquels elles sont présentes ou souhaitent investir. Elles sont donc contraintes de prendre en compte le concept du risque pays afin d’orienter leurs stratégies d’investissement et de développement »(1).
Pour certains, c’est dans un texte de 1967 de Frederick Dahl que la notion est apparue formellement, pour d’autre, le terme est antérieur et étroitement lié à la crise du canal de Suez et son lot de nationalisations. L’expression « risque pays » a émergé dans les années 1960 aux États-Unis, mais de nombreux travaux académiques en traitaient bien avant. Les contours de ce concept ont évolué au fil du temps, sans qu’une définition ne s’impose véritablement. A ses débuts, il se rapproche beaucoup du risque politique, puis il a évolué au fil du temps vers le risque de souveraineté, de solvabilité des états notamment avec l’émergence des agences de notation.
Aujourd’hui, il continu à s’étendre à bien d’autres thématiques. Bernard Marois le définit comme « le risque de matérialisation d’un sinistre, résultant du contexte économique et politique d’un État étranger, dans lequel une entreprise effectue une partie de ses activités (2)». Son imbrication avec la notion de risque en fait un candidat approprié pour les risques managers et compliance Officers dès lors que les entreprises mènent des évaluations de risque. Sa pertinence s’impose, ce qui lui donne une place de choix dans tout dispositif de conformité.
Pertinente dans l’approche Sapin II
En ce qui concerne la loi Sapin II, la notion de risque pays apparaît dès la promulgation de loi puisque pour les plus grandes entreprises, le 3° du II de l’article 17 de la loi Sapin II impose l’obligation d’élaborer « une cartographie des risques prenant la forme d’une documentation régulièrement actualisée et destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d’exposition de la société à des sollicitations externes aux fins de corruption, en fonction notamment des secteurs d’activités et des zones géographiques dans lesquels la société exerce son activité ». Pour les autres organisations, l’Agence Française Anticorruption (AFA) recommande (4) également d’appréhender le risque de corruption induit par l’implantation géographique de leurs activités. Le risque pays est ainsi cité dans les points 141., 217, 225, des recommandations de 2023 de l’AFA pour les entreprises du secteur privé.
La lecture de ces recommandations laisse apparaître au moins deux usages du risque pays dans un dispositif. Le premier usage est de l’utiliser comme l’une des composantes des typologies de groupe de tiers à risques. Ces typologies impliqueraient ainsi des mesures de vigilances et/ou mitigations particulières, adaptées pour être mises en place. Le pays d’implantation est donc en premier lieu un facteur qui détermine la nature et la profondeur des analyse et de l’évaluation des risques à mener sur les tiers.
L’autre usage possible est d’intégrer le risque pays comme critère dans l’évaluation des tiers comme un signal faible ou proxy, signifiant l’exposition au risque de corruption. A ce stade, il faut en effet avoir à l’esprit que le risque pays est un critère indirect de risque contrairement à des problématiques de réputation par exemple. Comme le rappelle l’AFA, «l’exposition d’un tiers au risque de corruption à raison des zones géographiques dans lesquelles il opère ne saurait résumer à elle seule l’exposition de ce tiers au risque de corruption. D’autres facteurs de risque doivent être pris en compte dans une démarche efficace d’évaluation de ces tiers ». Le risque pays est ainsi un ensemble de risques qui va potentiellement et indirectement influencer la relation avec un tiers mais n’est pas lié directement à celui-ci. Ainsi, une entreprise implantée dans un pays où la corruption est largement répandue ne va pas forcément être impliquée dans des actions de corruption, mais la probabilité est tout de même plus forte que pour une entreprise similaire implantée dans une autre juridiction. D’où l’importance de croiser cette information avec d’autres éléments, comme par exemple l’existence d’une charte ou d’un dispositif de lutte contre la corruption, le type de moyen de paiement utilisé ou la présence d’intermédiaire…
Deux questions à se poser
Quel que soit l’usage qui conviendra à votre contexte, c’est notamment la cartographie des risques qui vous permettra de l’identifier, deux questions majeures sont à se poser :
- Quel(s) referentiel(s) sont les plus adéquats au contexte de mon entreprise ?
- En effet, les référentiels sont multiples, avec des méthodologies, sources et objectifs pouvant varier. Aucun ne saurait être l’étalon absolu en la matière. Le guide pratique de l’AFA relatif aux indices de mesure de l’exposition d’une zone géographique au risque de corruption peut être une ressource utile pour réaliser la sélection la plus pertinente. L’indice de la perception de corruption de l’ONG Transparency est souvent cité, mais il est loin d’être la seule ressource et option pour disposer d’une approche pertinente concernant le risque pays lié à la corruption. Le guide de l’AFA en répertorie ainsi 18, et ne se veut pas exhaustif en la matière.
- Sur quelle(s) dimensions l’appliquer ?
- Si appliquer le(s) référentiel(s) sur l’implantation des tiers conformément aux recommandations semble pertinent, l’application à d’autres variables des tiers ou de leur écosystème comme l’implantation de leurs actionnaires, du lieu de réalisation des prestations ou de la domiciliation bancaire peut également faire sens dans certains contextes. Il conviendra alors d’adapter ses processus de collecte, de sourcing des données mais également la pondération et la cotation de ces valeur dans l’évaluation qui synthétisera l’analyse et l’exposition au risque mesuré. Dans cette optique, l’usage de multiples référentiels en fonction de la dimension pourra être une approche qui fait sens. Ainsi par exemple, le référentiel GAFI, plus centré autour des dispositifs de lutte contre le blanchiment d’argent (dont la corruption est un des sous-jacent), pourrait être privilégié pour être appliqué à l’implantation de l’(des) actionnaire(s), voire à la domiciliation bancaire plutôt qu’à l’implantation de tiers même par exemple.
Le risque pays est donc une donnée essentielle à prendre en compte au moment de construire/ améliorer vos dispositifs de mise en conformité. Que cela soit la loi Sapin II, la loi sur le devoir de vigilance et même d’autres réglementations, la richesse et la polyvalence du concept de risque pays en font un ingrédient important. Attention cependant à bien choisir le ou les référentiels/ indice à utiliser. L’autre challenge concerne ces informations, et réside dans la manière de l’intégrer au processus d’évaluation des tiers de manière fluide et industrielle.
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Yann Le Floc’h, ‘L’internationalisation du risque pays : un défi pour les entreprises multinationales ?’ (BSI economics, 14 novembre 2014)
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Bernard Marois, Le Risque-Pays, PUF, 1990
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LOI n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (1) – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
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Recommandations AFA.pdf (agence-francaise-anticorruption.gouv.fr)
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Agence française anticorruption (agence-francaise-anticorruption.gouv.fr)