Il est bien loin le temps où l’activité textile (manufacturée depuis le 18ème siècle, puis mécanisée) était l’un des fleurons de l’industrie française. La désindustrialisation débutée dans les années 1970, et la succession de crises ont largement ébranlé le secteur… Plus récemment, avec une chute de 18 % en volume et de 17 % en valeur, l’année 2009 a été qualifiée d’annus horribilis pour la filière textile. A cette date, l’Italie résistait encore à la concurrence des pays à faibles coûts de main-d’œuvre.
Plus récemment, la pandémie de Covid-19 a eu un effet dévastateur : les pays trustant la fabrication ont été les premières victimes, bloquant ainsi l’ensemble des process. Avec la mise en quarantaine et le confinement de la Chine considérée comme « l’usine du monde », le secteur Textile a ainsi énormément souffert.
L’une des premières marques à faire état de ses difficultés a été l’enseigne américaine Gap. Au 3ème trimestre 2020, l’entreprise suspendait le versement de dividendes et utilisait une ligne de crédit de 500 millions de dollars pour tenter de surmonter la crise du coronavirus. Pour autant, en 2021, la marque décida de ne plus opérer en direct sur le continent européen.
Sur le marché français, c’est le groupe Hermione People & Brands (HPB) détenu par Michel Ohayon (Camaïeu, 25 magasins affiliés Galeries Lafayette, Go Sport, La Grande Récré…) qui avait repris la gestion en franchise de Gap. L’axe privilégié par HPB a été la mise en ligne d’un site marchand spécifiquement dédié à la France et alimenté par le vaste catalogue de la maison-mère aux Etats-Unis.
HPB s’est également retrouvé au cœur de nombreux dossiers d’actualité tels ceux de Go Sport ou encore Camaïeu.
L’automne 2022 a ainsi été marqué par la liquidation de Camaïeu en septembre, puis par le placement en redressement judiciaire de la chaîne de souliers San Marina, ex-actif de Vivarte. Rappelons que ce dernier, auparavant Groupe André, s’était déjà séparé des enseignes Caroll et Minelli en juin 2021.
Puis cela a été au tour des marques de mode féminine Cop.Copine, Roseanna, (novembre 2022) Symbiose, ex Sinequanone (décembre 2022) ou encore Modetrotter (janvier 2023) de connaître une procédure de redressement judiciaire.
Quant à Go Sport, l’enseigne s’est finalement retrouvée en liquidation judiciaire le 28 septembre 2022 dernier, provoquant la fermeture de 514 magasins et laissant 2 600 salariés sur le carreau. Après sa maison-mère en janvier dernier, la filiale française de Go Sport a été placée en redressement judiciaire le 2 février 2023. Les éventuels repreneurs ont jusqu’au 10 mars prochain pour déposer leurs offres de reprise.
Et depuis les chutes s’enchaînent… Kookaï cédé en 2017 par le Groupe Vivarte à l’australien Rob Cromb, a été placé en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Paris le 1er février dernier. L’entreprise a affirmé avoir “manqué cruellement de moyens et de soutien des banques (refus de Prêt Garanti par l’Etat) pour rénover les boutiques, faire connaître Kookaï auprès des jeunes femmes et prendre le virage du digital…”
Pour sa part, Pimkie qui fût de 1970 aux années 2000 une entreprise florissante au sein de la galaxie Mulliez, vit elle aussi des jours difficiles. Elle est en effet sur le point d’être cédée à un consortium alliant Lee Cooper France, Kindy et Ibisler Tekstil. Ce rachat pourrait entraîner là encore la suppression d’environ 500 postes salariés.
Sans oublier les difficultés de Célio mis en procédure de sauvegarde en 2020…ou encore celles de l’enseigne La Halle qui avait demandé à être placée sous la protection d’un tribunal de commerce, avant d’être rachetée par le groupe Beaumanoir.
Alors pourquoi toutes ces déroutes ?
Une profonde crise structurelle, présente depuis longtemps
Nombreuses sont les enseignes qui n’ont pas su prendre le virage de l’internet, contrairement à La Redoute qui a réussi, en moins de quatre ans, à passer d’un catalogue papier jugé « has been » à un site de e-commerce performant. D’après une étude de l’Institut Français de la Mode, un cinquième des ventes de vêtements en 2021 était réalisé en ligne, contre seulement 6% il y a douze ans. Le positionnement du moyen de gamme est de plus en plus difficile à tenir face à des low cost, à des fast fashion en ligne et à une offre plus haut de gamme qui attire et fidélise la clientèle en boutique.
Quelles sont les raisons de ce déclin ?
- La pandémie Covid-19 : commerces jugés “non essentiels” lors du premier confinement, la majorité des magasins de textile et habillement était fermée… Tout en devant pour la plupart continuer à honorer leurs charges et engagements ; l’impact sur les trésoreries a été immédiat, et malheureusement souvent fatal.
- Les manifestations (gilets jaunes) : entre les magasins cassés, pillés, les samedis fermés, les jours nécessaires pour les travaux de réparation… Nombreuses ont été les boutiques situées dans les centres villes qui ont souffert. Ceci fut le cas de Roseanna, marque parisienne créée en 2007 et placée en redressement judiciaire en novembre 2022. Le malheur de cette entreprise a été d’ouvrir plusieurs magasins dans la capitale en 2019, juste avant que n’éclate la crise des gilets jaunes, puis la pandémie mondiale. Les quartiers dans lesquels l’enseigne Roseanna était installée, furent désertés par les locaux et les touristes…
- L’inflation, le pouvoir d’achat : l’augmentation du coût de l’énergie, des loyers et salaires, le remboursement des Prêts Garantis par l’État (PGE) souscrits pendant la crise Covid-19 ont provoqué la hausse des prix dans le secteur Textile. Avec l’augmentation des prix du carburant, du chauffage et de l’alimentation, les français boudent les magasins. Pour preuve, en 2022, on dénombre 15% de clients en moins dans les magasins par rapport à 2019.
- Une évolution de la consommation : depuis le Covid-19, les comportements des consommateurs ont clairement évolué. Pour exemple, si on prend le segment des chausseurs : 1 paire de chaussures sur 3 est aujourd’hui acquise sur internet. Les clients réalisent les essayages en boutique, puis effectuent leurs commandes sur le net… Autre constat : 1 paire sur 2 achetée concerne désormais des sneakers ; devenues incontournables, ces dernières s’achètent et se revendent parfois à prix d’or.
- Le développement de la seconde main : en 2021, les achats de prêt-à-porter d’occasion ont augmenté de 51 % selon l’Observatoire Natixis Payments, soit un bond de 140 % en deux ans. Ce regain d’intérêt est alimenté par le souci des consommateurs de réaliser des économies, tout en effectuant un achat responsable. Vinted fait partie des « bénéficiaires » de la crise Covid-19. La marque occuperait ainsi la 6ème place des sites e-commerce les plus visités de France au 3ème trimestre 2021, selon le classement Fevad/Mediamétrie.
- La forte concurrence des low-cost : Kiabi, Naumy, Prymark, Gemo, Shein… Des articles fabriqués en Chine et en Turquie, des séries optimisées avec des modèles identiques et différents coloris, moins de poches, moins de boutons afin d’optimiser le coût de fabrication et un choix très étendu de tailles…
- Le plagiat : la société qui invoque des actes de concurrence déloyale devra se prévaloir d’un préjudice généré par ces actes. La copie illicite d’une création textile protégée par un droit d’auteur, droit sur un dessin et modèle ou droit de marque est qualifiée juridiquement de contrefaçon. Connue pour plagier les petits créateurs, la marque chinoise de fast-fashion Shein est ainsi dans le collimateur de nombreuses maisons de mode hexagonales.
- Le dérapage de la dette : dans le secteur Textile, les rachats d’enseignes ont été majoritairement réalisés avec de la dette générée et la stratégie de consacrer parfois jusqu’à 40% des résultats à son financement.
Pour exemple, Camaïeu avait ainsi accumulé 240 millions d’euros de dette dont 70 millions pour les seuls loyers impayés pendant la crise sanitaire. Une somme impossible à rembourser par l’entreprise déjà affaiblie par le confinement du printemps. Autre erreur constatée dans certains montages financiers : les marques, parfois trop distinctes pour devenir complémentaires au sein d’un nouvel ensemble, sont en incapacité de mutualiser les coûts d’exploitation.
C’est donc un panel de raisons, certaines structurelles, d’autres plus circonstancielles, qui expliquent les difficultés du secteur de l’habillement moyen de gamme. Dernier évènement en date, l’enseigne Gap France vient d’être placée en redressement judiciaire par le Tribunal de Grenoble le 1er mars dernier. Il est clair que lorsque certaines structures contractent un niveau de dette élevé, l’obligation est de consacrer une bonne part des bénéfices à son remboursement et non à investir dans une transformation devenue parfois plus qu’urgente…
Il convient réellement de s’interroger sur le devenir du positionnement du moyen de gamme entre un low-cost qui gagne des marchés et un haut de gamme qui consolide sa clientèle.
Néanmoins, il y a parfois quelques scénarios tintés d’espoir. Ainsi, en juin 2020, Celio, fortement impacté par la pandémie et la fermeture de ses boutiques, avait sollicité l’ouverture d’une procédure de sauvegarde auprès du tribunal de commerce de Bobigny, afin de “sécuriser l’entreprise pendant la crise, et prendre le temps de bâtir un plan robuste qui lui permettrait de passer cette période”. Ce cap vient ainsi de se matérialiser avec la validation de sortie de sauvegarde le 14 septembre dernier.