Marie-Noëlle Thomas
Directrice Business Line Risk Management - Ellisphere
Dinojan Karthigesu
Data Scientist, département Innovation - Ellisphere
Pour commencer, pouvez-vous nous donner votre définition de ce qu’est une innovation ?
Marie-Noelle Thomas : une innovation peut se présenter sous deux angles. Elle peut être perçue comme un changement significatif, voire une transformation radicale d’un outil, d’un produit ou un processus. Elle peut également se manifester par des évolutions plus modestes mais néanmoins utiles, visant à rendre le quotidien plus facile, à répondre à des besoins émergents ou à des nouveaux usages des utilisateurs.
Souvent, on associe l’innovation à des transformations disruptives telles que l’avènement du moteur à explosion ou du smartphone, qui ont profondément changé nos vies. Cependant, il existe également des innovations moins spectaculaires mais tout aussi importantes, qui se produisent quotidiennement dans tous les domaines, transformant un existant.
En réponse aux besoins notamment des credit managers, Ellisphere innove de deux manières. D’une part, il peut y avoir des innovations qui demeurent invisibles pour l’utilisateur final, telles que les perfectionnements menés en continu dans le traitement de l’information en amont de sa diffusion. D’autre part, il y a des innovations plus tangibles pour les utilisateurs finaux, telles que de nouvelles fonctionnalités, des parcours utilisateurs améliorés, de nouveaux outils d’aide à la décision comme un score, ainsi que des solutions de support client plus efficaces.
A ces différents titres, l’innovation est, au quotidien, essentielle au développement et à la compétitivité des entreprises, même si elle n’est pas toujours explicitement présentée comme telle.
Dinojan Karthigesu : une innovation concerne effectivement toute nouveauté, qu’elle soit technologique, méthodologique ou organisationnelle. C’est un changement qui vise à améliorer ce qui existe déjà, voire un changement plus radical qui est à l’origine d’une véritable révolution. Cette évolution peut se traduire par l’amélioration d’outils, de process complexes, ou par la réalisation de tâches impossibles à effectuer auparavant. En somme, dès lors qu’une initiative rentre dans ce cadre, je la considère comme une innovation.
Avec la solution que vous proposez, en quoi peut-on parler d’innovation majeure et comment se traduit-elle de manière opérationnelle pour l’entreprise ou pour les équipes crédit ?
Marie-Noelle Thomas : l’innovation proposée répond à un besoin bien réel. Nous avons identifié un point de friction important lié à l’augmentation considérable du risque de fraude, et aux risques associés. Notre solution, conçue en partant de cet enjeu client fort, est extrêmement simple et directement applicable dans le process de décision des credit managers. Il s’agit d’un indicateur de risque de fraude à la coquille vide (1), évalué sur une échelle de 0 à 100. Cette innovation est cruciale car la fraude peut rapidement engendrer des pertes financières ainsi qu’un dommage réputationnel considérables pour les entreprises, surtout à l’ère de la transformation digitale. En effet, la nécessité de renforcer les mesures de sécurité et de gestion préventive du risque est devenue indispensable dans les chaînes de valeur, notamment des organisations digitalisées.
Dinojan Karthigesu : cette solution est innovante à plusieurs égards. Tout d’abord, ce nouveau scoring constitue en soi une innovation, étant donné qu’il n’existait pas auparavant sur le marché. Bien que nous ne soyons pas les premiers à travailler sur la question de la fraude, proposer un scoring permettant de détecter les coquilles vides est une avancée novatrice. D’autre part, l’innovation réside également dans les données que nous utilisons et la manière dont nous les traitons. En effet, nous exploitons maintenant industriellement des informations auparavant inaccessibles, telles que les bénéficiaires effectifs et l’actionnariat. Cette exploitation est rendue possible grâce à des techniques comme l’OCR(2) et le NLP(3). Les données collectées enrichissent notre scoring et le rendent ainsi plus pertinent.
Par ailleurs, notre innovation se manifeste dans la personnalisation possible du scoring en fonction des besoins spécifiques de chaque client utilisateur.
Enfin, il y a innovation dans la façon dont nous utilisons la technologie, comme dans le cas de l’actionnariat, où nous avons développé des méthodes d’extraction automatisée des informations pertinentes à partir de PDF volumineux. Cette approche réduit considérablement le temps de traitement, et permet d’actualiser plus efficacement les données en masse.
Pensez-vous que certaines innovations remplaceront l’être humain à certains postes ? En quoi l’innovation est-elle un outil qui améliore le travail et la qualité de vie des collaborateurs de l’entreprise ?
Marie-Noelle Thomas : les innovations, telles que la robotisation de chaîne de production dans les usines, peuvent effectivement remplacer certains postes de travail ; sans omettre toutefois que d’autres métiers peuvent voir le jour, justement grâce à cette robotisation. Pour les métiers de la finance d’entreprise comme celui de credit manager, l’objectif d’Ellisphere est de fournir des outils complémentaires pour aider à la prise de décision, et le cas échéant permettre de concentrer les équipes sur les dossiers à forte valeur ajoutée. Notre ambition est d’offrir aux credit managers les solutions leur permettant de prendre des décisions plus rapidement mais aussi de façon plus éclairée, en leur fournissant un flux constant d’informations, grâce notamment au score de fraude à la coquille vide. Ces outils visent à concentrer l’énergie du credit manager là où les risques sont les plus élevés, afin d’optimiser l’efficacité de son travail. Les innovations proposées par Ellisphere pour les credit managers accompagnent ainsi la transformation de leur métier qui est de plus en plus exigeant, sans avoir à supprimer des postes de travail, décision qui relève de la politique sociale de l’entreprise.
Dinojan Karthigesu : j’abonde dans le sens des propos de Marie-Noelle. En effet pour moi, l’innovation, plus précisément en recourant à l’Intelligence Artificielle (IA), n’est pas censée remplacer l’humain, mais plutôt le libérer de tâches bien spécifiques, sans forcément à valeur ajoutée réelle. Il y a ainsi des tâches qui pourront être automatisées ou accélérées grâce à l’IA, tandis que d’autres pourront être partiellement automatisées. Dans tous les cas, l’humain reste nécessaire pour des vérifications et des prises de décisions critiques. L’IA agit donc comme un outil complémentaire en support, permettant à l’humain de se concentrer sur des aspects où la technologie n’est pas encore adaptée. Par exemple, dans le cas de la détection de fraudes, même si l’innovation peut fournir un scoring de risque, la décision finale demeure entre les mains d’un humain, pour lequel le score est un indicateur parmi d’autres informations.
Enfin, pourquoi avoir choisi de soutenir l’événement AFDCC dédié à ce thème et que souhaiteriez-vous dire à nos lecteurs pour convaincre les derniers hésitants à venir vous rencontrer lors de la Journée Innovation AFDCC ?
Marie-Noelle Thomas : cette journée met en lumière l’intégration de l’innovation dans le quotidien du credit manager. Soutenir cette initiative est donc essentiel pour répondre aux défis de la profession.
En présentant l’innovation d’Ellisphere, nous démontrons notre engagement envers les credit managers et l’importance que nous accordons à recueillir leur avis. Cela nous permet de mesurer la pertinence de nos projets et d’explorer de nouvelles pistes d’innovation. Il est primordial de créer des solutions qui répondent réellement aux besoins des opérationnels, plutôt que de simplement suivre des « tendances ». Cette journée offre donc une occasion unique d’interagir directement avec les utilisateurs potentiels et d’obtenir un retour précieux sur notre travail.
Dinojan Karthigesu : si vous avez déjà été confrontés à la fraude et que vous avez subi des pertes, vous savez à quel point cela peut être douloureux. C’est une perte sèche qui a pu mettre en danger la pérennité de votre activité. Plus généralement, que vous ayez déjà été victimes d’une fraude ou non, vous avez conscience que le risque est réel, et qu’il doit être pris en compte. Des questions se posent alors : existe-t-il un dispositif de lutte contre la fraude dans votre entreprise, qu’il soit manuel ou automatique ? Si oui, pensez-vous qu’il soit suffisamment adapté ? etc. Quelles que soient vos réponses, venez échanger avec nous le 14 juin, et mutualisons nos retours d’expérience pour en faire une force dans la recherche de solutions efficaces.
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La technique de la « coquille vide » consiste à créer ou reprendre une entreprise avec un dirigeant de paille ou des représentants de sociétés à l’étranger, ou qui n’existent plus.
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OCR : Optical Character Recognition ou Reconnaissance Optique de Caractères (ROC)
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NLP : Natural Langage Processing ou Traitement du Langage Naturel (TLN)
L’interview est également disponible dans le magazine Fonction Crédit du 2ème trimestre 2024. https://www.linkedin.com/posts/karin-saint-germier_recouvrement-defaillances-bfr-activity-7203693810156007425-WC3C?utm_source=share&utm_medium=member_desktop