PIB, inflation, comment la France a-t-elle terminé l’année 2023 ? Sachant que son principal partenaire commercial, l’Allemagne, a beaucoup souffert l'an passé, notamment via son secteur manufacturier, impacté de plein fouet par la crise énergétique.
En observant les taux de croissance, nous constatons que l’Allemagne est effectivement le seul pays développé à être en récession, produisant moins en 2023 qu’en 2022. En revanche, la France devrait connaître un taux de croissance positif, légèrement inférieur à 1%. En élargissant notre analyse pour comparer avec la période d’avant la crise Covid, à savoir l’année 2019, il est intéressant de noter que globalement la France affiche une croissance de +1,7 %. En revanche, l’Allemagne est pratiquement au même niveau qu’en 2019, avec une stagnation de son économie sur quatre ans, résultat d’autant plus notable que l’Allemagne est généralement considérée comme le moteur de l’économie européenne. Il est également important de souligner que l’Europe perd du terrain par rapport aux États-Unis ; ces derniers affichent en 2023 une croissance de plus de +7,5 % au-dessus du niveau d’avant la crise Covid-19. À l’intérieur de l’Europe, la France se situe dans la moyenne tandis que l’Allemagne est nettement en deçà en termes d’activité.
Concernant l’inflation, on observe une tendance commune dans tous les grands pays développés : une baisse de l’inflation, phénomène appelé désinflation. Il est important de ne pas confondre cela avec une baisse des prix ; il s’agit plutôt d’une décélération de l’augmentation des prix. L’inflation, qui était d’environ 10% au début de l’année 2023 dans les grands pays développés, est désormais comprise entre 2,5 % et 3,5 % dans tous ces pays pour l’année 2023, avec des chiffres légèrement inférieurs pour la France. Si l’on prend du recul, notamment depuis la fin de 2021, on constate que c’est en France que l’inflation cumulée au cours des trois dernières années a été la plus faible. Aujourd’hui, nous observons environ 4,5 % d’inflation en moins par rapport à l’Allemagne et près de 8 % en moins par rapport au Royaume-Uni, ce qui favorise nettement l’économie française et pourrait présager de meilleures performances en termes de compétitivité dans les années à venir.
Nous sommes définitivement sortis du “quoi qu’il en coûte” ; les récentes annonces gouvernementales semblent confirmer que le moment de régler l’addition est inévitable. L’endettement de la France est-il excessif ? Constitue-t-il un handicap à court, moyen ou long terme ?
En ce qui concerne la dette publique, si nous examinons la situation française actuelle, nous constatons une tendance à la baisse. En 2020, la dette publique représentait environ 115 % du PIB, alors qu’aujourd’hui elle tournerait autour de 110 à 111%.
Cependant, ce qui rend la dette moins soutenable aujourd’hui qu’auparavant, ce sont les taux d’intérêt qui ont augmenté. En 2020, bien que la dette était élevée, les taux d’intérêt étaient presque à zéro. Aujourd’hui, ces taux augmentent, ce qui entraîne une hausse des charges d’intérêts au cours des deux dernières années, atteignant un niveau relativement élevé. Cette augmentation représente environ deux points de pourcentage du PIB en termes de charge d’intérêts, une augmentation bien plus élevée que la moyenne de ces dix dernières années. Cependant, il est important de souligner qu’au cours des années 90, ce chiffre atteignait 3,5 points de pourcentage du PIB, ce qui montre que nous sommes encore nettement en dessous de cette période.
Toutefois, cette situation rend aujourd’hui nécessaire une réduction de la dette, d’autant qu’il devient de plus en plus coûteux de s’endetter. Avec nos engagements envers nos partenaires, nous devons entreprendre ce que l’on appelle l’austérité ou la consolidation budgétaire. Nous sortons de la politique du “quoi qu’il en coûte” ; dans ce cadre, le ministre de l’économie envisage des économies d’environ 12 milliards d’euros par an pendant une dizaine d’années. Les premières années seront relativement simples, mais à partir de 2025, 2026, il faudra envisager de véritables réformes, notamment des réductions significatives des dépenses publiques. En effet, le gouvernement actuel refuse d’augmenter les impôts, ce qui signifie que ces réductions ne pourront passer que par des coupes dans les dépenses publiques. Cela pourrait avoir des conséquences plus douloureuses, car il faudra déterminer quelles dépenses publiques réduire, quelles seront les familles ou les entreprises affectées. Nous devons donc nous préparer à un ralentissement de l’activité économique lié à cette austérité, qui est généralisée en Europe. À titre de comparaison, les Allemands prévoient des économies de 6 milliards d’euros, ce qui montre une austérité plus marquée même pour un pays qui ne se porte pas très bien économiquement.
Les États-Unis semblent s’engager dans ce qu’on appelle un processus de réarmement industriel, notamment pour faire face aux ambitions de la Chine. L’Europe n’est pas en reste, mais ne représente que 6,7 % des investissements industriels mondiaux. Plusieurs questions se posent : tout d’abord, cette réindustrialisation est-elle possible et jusqu’où peut-elle aller ? La France peut-elle faire cavalier seul, ou est-elle obligée de s’inscrire dans un projet commun européen pour mener à bien ce processus ?
Au-delà de la réindustrialisation, il y a une guerre commerciale dans laquelle les États-Unis nous entraînent. Globalement, si on caricature et qu’on pousse le phénomène à l’extrême, ils veulent nous faire sortir du libre-échange type OMC. Autrement dit, là où il y avait des règles communes pour tous les échanges, ces règles existeront toujours, mais il n’y aura plus de gendarme pour vérifier si elles sont violées ou non. D’ailleurs, les États-Unis se lancent dans le protectionnisme avec l’IRA (Inflation Reduction Act), ce qui va à l’encontre des règles de l’OMC. Ce vers quoi les États-Unis veulent nous entraîner, c’est vers du tripartisme, c’est-à-dire qu’il y aurait le bloc américain, le bloc chinois, et les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), auxquels se sont ajoutés six nouveaux pays ces six derniers mois. Ce bloc représente 46 % de la population mondiale, c’est donc un acteur majeur.
La grande question est de savoir ce que nous ferons avec le bloc européen. Face au bloc chinois et au bloc américain, la France seule, c’est certain, ne pèse pas grand-chose et pourrait avoir plus de poids si nous formions un bloc européen. Cependant, les Allemands y sont hostiles, car ils ont plutôt intérêt à revenir aux règles antérieures de l’OMC, où ils étaient bénéficiaires avec un excédent commercial de 4 à 8 points chaque année. Les Américains ont mis un terme à cela, tout comme les Chinois et les Britanniques. Il est donc nécessaire que l’Europe se prépare à son propre bloc avec ses propres règles, ce que l’on appelle maintenant le “friend sharing” ou le “near sharing”. Cela signifie que nous allons commercer avec des amis ou des pays proches politiquement ou géographiquement, avec des règles communes à ce bloc, puis commercer entre blocs avec des règles différentes, incluant des barrières douanières.
Les élections américaines seront très importantes à cet égard. Si Donald Trump revenait au pouvoir, il a clairement annoncé que les règles seraient encore plus strictes. Il veut réindustrialiser les États-Unis beaucoup plus rapidement, probablement au détriment de l’Europe. Ainsi, l’Europe doit établir ses propres règles, avec son propre budget et une stratégie qui implique, d’une certaine manière, un protectionnisme, mais européen, bien sûr, pas seulement français.
Certains prévisionnistes pensent que 2024 sera la troisième année consécutive de ralentissement économique au niveau mondial. Êtes-vous d’accord avec cette prévision, et le cas échéant, quel impact cela pourrait-il avoir sur l’économie mondiale, mais aussi plus particulièrement sur les pays européens et la France ?
Effectivement, nous sommes en phase avec ce ralentissement, avec une croissance mondiale prévue à 2,3 % en 2024. Pour rappel, la croissance était de 3,2 % en 2022 et de 2,6 % en 2023. Il y a donc un ralentissement continu, mais avec des facteurs qui évoluent. Jusqu’à présent, le ralentissement était plutôt lié à des problèmes d’offre, d’approvisionnement et de recrutement. Il y avait peu de problèmes de demande, car les carnets de commandes étaient garnis, il y avait toutefois des difficultés à produire pour les raisons précédemment mentionnées. En 2024, la situation va s’inverser : le principal frein sera la demande, les carnets de commandes se vident, les problèmes d’approvisionnement sont revenus à la normale, bien que les tensions en mer Rouge puissent créer de nouveaux problèmes d’approvisionnement.
Aujourd’hui, nous sommes revenus à la normale, et donc c’est la demande qui va peser. Cette demande est quelque peu malmenée par deux mécanismes : d’une part, l’austérité dont nous venons d’évoquer, où toutes les politiques budgétaires cessent de soutenir le pouvoir d’achat des ménages, en augmentant les impôts ou en réduisant les dépenses publiques ; d’autre part, la politique monétaire, mais cela fait partie du passé. Les taux d’intérêt ont augmenté, mais maintenant ils baissent. Cependant, l’impact des politiques monétaires n’est pas immédiat, et il faut environ 18 à 24 mois pour que les hausses de taux se répercutent réellement dans l’économie et entraînent un ralentissement. Eh bien, nous y sommes.
En 2024, nous allons subir les conséquences des hausses de taux des années 2022/2023, et cela va être un facteur très important, notamment dans le secteur de la construction, où l’on observe un effondrement progressif dans tous les pays. En conséquence de tout cela, le chômage va augmenter dans tous les pays développés, alors qu’il diminuait au cours des années 2022/2023. C’est la principale conséquence. La deuxième conséquence est bien entendu que le déficit public va se résorber moins rapidement que prévu, car moins d’activité signifie moins de recettes pour les finances publiques.
Entretien réalisé le 24 janvier 2024.
OFCE : Observatoire français des conjonctures économiques