En cette fin d’année, de nombreux palmarès sont en cours d’élaboration pour valoriser « nos champions français de la croissance ».
Dans un environnement le plus souvent volatil et complexe, générer un niveau élevé de croissance « rentable » n’est pas le fruit du hasard. Il faut pour l’entreprise, gagner en efficacité, optimiser ses coûts et pour le(s) fondateur(s), assumer l’ouverture d’une partie du capital pour faire financer les projets à moyen et long terme.
Qu’est-ce que l’hypercroissance ?
L’hypercroissance peut être définie comme une croissance très forte d’une entreprise. En général, est considérée en hypercroissance une entreprise dont l’augmentation de son chiffre d’affaires annuel dépasse 40% pendant 3 années consécutives. Elle peut s’appliquer aussi bien à des PME comme à de grosses entreprises, bien que cela soit plus rare.
L’hypercroissance du “Slip Français”
Soyons un brin « cocardier » et prenons l’exemple du slip français, cas d’école, dont le modèle économique repose principalement sur la vente en ligne (70% d’articles vendus) et dont le CA est passé de 3,5 millions d’euros en 2015 à 20,7 millions d’euros en 2018, soit une croissance exponentielle depuis 3 ans.
Fin 2016, l’intensité capitalistique de l’entreprise* représentait 47,15% (soit 47 euros pour arriver à un CA de 100 euros). Un niveau bien trop élevé pour une plateforme en ligne dont le paiement de ses clients est quasi immédiat. La faute est due, en partie, au poids trop élevé des stocks (20% du CA HT), des rentrées d’argent pas si rapide que prévues (poids des clients = 8% du CA HT) et des décaissements de trésorerie trop rapide au vu de la situation de trésorerie de l’entreprise (poids des fournisseurs = 24% du CA).
Outre ses problèmes de BFR (Besoin de Fonds de Roulement), la marge brute d’exploitation de l’entreprise française était négative, d’où une insuffisance en cash-flow. Bref, tout allait mal.
Quelle fiabilité donner alors au business plan de l’entreprise dont l’ambition était d’approcher les 25 millions de CA en 3 ans ?
Et pourtant … Après avoir convaincu fin 2016, un partenaire financier d’entrer dans son capital, les résultats, 2 ans plus tard, sont au rendez-vous. La croissance de l’entreprise peut être qualifiée de rentable. Le CA 2018 a dépassé les 20 millions d’euros contre 13 millions d’euros un an plus tôt, sa marge brute d’exploitation est en progression et de nouveau positive, et son Excédent de Trésorerie d’Exploitation a généré 2,6 millions de cash.
Le chiffre d’affaires n’est pas un gage de sécurité.
Le score Ellisphere traduit cette évolution rapide de la croissance. Ce dernier est passé de 2/10 (mi 2017) à 5/10.
Félicitons-nous alors de ce succès. Non pas encore…car rien n’est acquis, car si elle est rentable, la croissance doit aussi être contrôlée. Sur ce dernier point, interrogeons-nous sur la baisse considérable de 12 points de l’intensité capitalistique de l’entreprise en 1 an (IK de 35,84% fin 2018) et ce malgré les investissements réalisés dans les boutiques et l’ouverture de la plateforme vers l’export.
Une partie de cette baisse est liée à l’augmentation du poids des fournisseurs dans le CA. Ce poids ne cesse de progresser. Il représente 37% du CA en 2018 contre 24% en 2016. L’entreprise paye de plus en plus tardivement ses fournisseurs. L’indice de comportement sectoriel d’Ellisphere (Payrank) est là pour le rappeler (1/5 –> L’entreprise présente un DPO* élevé par rapport à son secteur). Le bilan de l’entreprise traduit cette évolution et est de moins en moins liquide.
Qu’en conclure ?
De manière générale, ne tombons pas dans le piège du CA qui n’est pas un gage de sécurité. Les accélérations trop fortes de croissance ont des limites. L’ambition de devenir très rapidement un référent sur son marché présente un risque fort, celui de faire fructifier durablement ses actifs en posant méthodiquement ses jalons notamment sur ses activités traditionnelles l’est beaucoup moins. Les deux approches sont néanmoins respectables et à encourager, l’économie française a besoin des deux.
*Intensité Capitalistique = (Actif immobilisé +BFR)*100/CA
*DPO = Days Payable Outstanding